Francesca Mantovani © Éditions Gallimard
Édition 2022 - La mer|Publié le 27/09/2022

3 questions à Claude Gauvard

D’où vient votre passion pour l’histoire ?

Petite, j’aimais les contes, les histoires... Je ne me destinais pas à l’histoire, mais à la médecine jusqu’à la rencontre, en classes terminales scientifiques, d’un remarquable professeur au lycée Victor Duruy, Mademoiselle Diéni. Elle faisait de l’histoire, la vraie, celle des rapports de force, des grandes évolutions, des hommes inscrits dans les territoires. Elle m’a persuadée que j’étais faite pour devenir historienne, je l’ai crue et ne l’ai jamais regretté : comme le médecin, l’historien traite de la chair humaine. Marc Bloch avait raison, à condition de concevoir l’homme comme un tout, corps et pensée, individu et société.

L’histoire du Moyen Âge nous permet-elle d’appréhender autrement le XXIe siècle ?

L’histoire du Moyen Âge, avec son temps long de mille ans, met le XXIe siècle en perspective. La société occidentale y a connu la dilatation de l’espace comme nous connaissons celle de la mondialisation. D’une sociabilité d’interconnaissance vive mais limitée, celle du village, de la rue ou du quartier, on est passé, en France et en Angleterre du moins, à un horizon élargi jusqu’aux frontières des royaumes. Ces transformations ont été rapides et on ne peut

que souligner l’acculturation politique qui les a accompagnées : les hommes du seigneur sont devenus des sujets du roi. Mais ces changements ont nourri la peur et les gouvernants en ont joué. Le sentiment d’insécurité est devenu un leitmotiv de la coercition et il a conduit à rejeter l’étranger, l’autre. La xénophobie qu’exacerbe l’appartenance à la chrétienté est inhérente au Moyen Âge. La déconstruire permet de mieux comprendre le présent. Cette analyse implique de ne pas considérer le Moyen Âge comme une période barbare dont les siècles suivants se seraient affranchis. La violence était vive, mais était-elle plus meurtrière que les conflits contemporains ? Régulée, elle répondait à d’autres valeurs que les nôtres, en particulier celles d’un honneur à défendre. La civilisation n’est pas en progrès comme on pouvait le croire au XXIsiècle, elle évolue, mais parfois trébuche. Il ne s’agit pas non plus de décrire un âge d’or où il serait bon de retourner. Villes et villages étaient structurés par de solides hiérarchies ; l’ascension sociale y était fortement bridée. Autrement dit, il ne convient pas d’imiter le temps perdu. Ces hommes et ces femmes sont à la fois comme nous et autres. De cette façon, oui, le Moyen Âge peut inspirer le présent.

Peut-on encore écrire sur Jeanne d’Arc ?

Sans doute, puisque j’ai osé... La découverte d’un nouveau document, des injures à son égard prononcées en 1461, soit trente ans après sa mort, par un noble nivernais, Jean des Ulmes, et rapportées au parlement de Paris, ont été le déclic. La traiter de « putain ribaude » s’inscrivait dans les travaux que j’ai pu mener sur la réputation des gens du peuple, sur l’opinion et la diffusion des nouvelles, sur la sorcellerie, sur la place que tiennent les châtiments et plus généralement la justice dans la société des derniers siècles du Moyen Âge. J’ai donc tenté un essai qui aborde Jeanne en son temps, tirant les fils de mon savoir en ces domaines. Mais le sujet n’est sans doute pas épuisé : ce personnage est un météore et comme tel, conserve sa part de mystère.

Francesca Mantovani © Éditions Gallimard