KASPAR HAUSER : vie minuscule, cas majuscule ?
Carte blanche aux éditions La Découverte
Le 26 mai 1828, Kaspar Hauser fit son apparition sur une place de Nuremberg. Ce jeune homme, qui semblait avoir 16 ou 17 ans, savait à peine marcher. Il n’avait pas cinquante mots en bouche et ne pouvait dire d’où il venait, ni où il allait. On l’aurait dit échappé de la Caverne de Platon. Il demeure aujourd’hui l’un des plus célèbres « enfants sauvages ». - Ayant grandi séquestré, coupé de tout contact humain, il fut arraché à une nuit insondable pour naître au monde une seconde fois. Rien ne le rattachait à son époque. Pas même à un groupe social ou une génération. Kaspar ignorait jusqu’à la différence homme-femme. Il habitait un corps étrange et dissonant, vierge de toute socialisation. On découvrit bientôt sa sensorialité inouïe, sa vie émotionnelle intense. Du moins jusqu’à ce qu’il apprenne, douloureusement, les mœurs et usages de son temps, non sans être devenu, la rumeur enflant, l’orphelin de l’Europe. - Le plus probable est que Kaspar Hauser ait été un prince héritier, écarté d’une succession par une sombre intrigue de cour. Son assassinat, cinq ans plus tard, semble le corroborer. Le plus intéressant, toutefois, ne réside pas tant dans le mystère de ses origines ou l’énigme de sa mort que dans la capacité de cette histoire tragique, aux accents œdipiens, à en dire long sur la culture, sur nos façons d’arraisonner le monde. L’examen approfondi de cette trajectoire aberrante révèle aussi, par son anomalie même, jusqu’à quelles secrètes profondeurs le social et l’histoire s’inscrivent d’ordinaire en chacun de nous. Ce qui laisse également soupçonner derrière cette vie minuscule un cas majuscule des sciences humaines et sociales. - - Auteur/s : - Jean-Christophe Bailly (éditeur de) - Écrits de et sur Kaspar Hauser (Christian Bourgois, 2003) - Ce volume contient l'ensemble des documents d'époque relatifs à l'apparition, à la vie et à la disparition de Kaspar Hauser. Ecrits qui sont autant d'efforts pour pénétrer cette expérience entre toutes bouleversante et qui bouleversa l'Europe entière au moment où elle fut révélée : quand, le lundi de Pentecôte 1828, sorti du néant, Kaspar Hauser fit son apparition à Nuremberg. Tout ce que normalement nous n'appréhendons que peu à peu et pas à pas, voilà que du fait de son exceptionnel destin, cela fut donné à Kaspar Hauser d'un seul coup, comme une masse effrayante et indéchiffrable, qu'il déchiffra pourtant, par un travail intellectuel harassant, au cours du peu d'années qu'il lui fut donné de vivre après la sortie de l'enfermement complet dans lequel il passa son enfance. Né deux fois et pur contre-héros, Kaspar Hauser, par-delà l'énigme que scelle son nom, figure malgré lui comme un exergue misérable et sublime dans la lignée de tous ceux que la proximité à leur propre expérience rejeta hors du monde.