2 questions à Alain Cabantous
Quel est votre rapport personnel à la mer ?
La navigation ne m’a jamais tenté. En revanche, je suis très sensible à l’environnement marin et plus encore à l’interface, sauvage si possible. Criques rocheuses, longues plages, dunes ou falaises m’ouvrent à un imaginaire réel. Le regard vers le large et les pieds sur l’estran. Marcher sur le sable, c’est un peu communier avec des temporalités proches et lointaines à la fois, apparemment sans limites. Impression toujours fascinante et un peu vertigineuse pour un historien. Savoir aussi que ces côtes si différenciées ne sont rien moins qu’un territoire du vide, selon la belle expression d’Alain Corbin. Elles demeurent les lieux de tous les départs, de tous les retours, de tant d’activités humaines, jusqu’à s’offrir en théâtre de contradiction : du halage éprouvant des lourdes embarcations au délassement estival immobile. Spectateur-historien, je me définirai volontiers comme un « paysagiste » de la mer.
Comment écrire l’histoire de la mer ? Pouvez-vous revenir aux grandes étapes de vos recherches ?
L’histoire de la mer n’est qu’une reconstruction du passé à travers le truchement de ses acteurs. Et c’est ce qui a motivé mes premières recherches, inspirées par le séminaire à l’époque très novateur de Michel Mollat qui avait déplacé la réflexion de l’antique « histoire maritime » vers de nouveaux objets. Tout fut ensuite affaire de circonstances et d’emboîtements. Une nomination académique à Dunkerque où les archives locales sortaient enfin des cartons ; l’éclosion des grands travaux sur les économies maritimes portuaires mais qui restaient peu attentifs aux marins. De là, une première thèse sur les gens de mer de Dunkerque à l’époque moderne suivie d’une seconde élargie aux communautés littorales de la Flandre à la Normandie qui privilégiait le rapport des hommes à la mer dans leurs effets sociaux, démographiques ou culturels. Cette problématique centrale en recelait d’autres, parfois juste esquissées, canevas de recherches ultérieures autour des comportements religieux, des identités, du pillage voire du blasphème. La mer mène à tout.