Travail et mobilités : entre choix et contraintes

Cette table-ronde s’intéresse aux relations mobilités et travail, sur une longue période, de l’Antiquité au milieu du XXème siècle, en mettant l’accent sur les liens entre travailleurs, marché du travail et contexte politique ou économique. Si les théories du push and pull pour expliquer les migrations économiques ont été largement revisitées, on s’intéressera donc plutôt aux liens entre stratégie des travailleurs et politiques « publiques » ou privées du travail. Cette table ronde s’appuiera sur les domaines de spécialisation des collègues pressenties mais s’organisera autour d’une série de questions communes. Virginie Mathé Travailleurs étrangers et employeurs sur les chantiers de construction des sanctuaires grecs En Grèce ancienne, la présence de travailleurs étrangers sur les chantiers de construction des sanctuaires ne fait aucun doute. Mais pour quelles raisons quittaient-ils, plus ou moins temporairement, leurs cités d’origine et quels motifs poussaient les commanditaires à les employer ? On s’attachera dans la table ronde à montrer sur quels documents on peut s’appuyer pour identifier les déplacements des artisans et évaluer la part des locaux et des étrangers sur divers chantiers comme ceux d’Athènes, de Delphes, d’Épidaure et de Délos entre le ve et le iie s. av. J.-C. Alors qu’on ne peut reconstituer le parcours complet d’aucun individu et qu’on ne dispose d’aucun témoignage direct, la documentation comptable laisse entrevoir les stratégies des travailleurs et des employeurs et les rapports de force qui s’établissaient entre les uns et les autres. Naima Ghermani « Migrations choisies ou migrations forcées ? Le cas des réfugiés huguenots au XVIIe siècle » L’histoire du Refuge huguenot a mis en évidence la corrélation entre les politiques discriminatoires et vexatoires à l’égard des huguenots et leur fuite dès avant 1685. Après la révocation, les départs se font de plus en plus massifs, au point qu’on estime à environ 150 000 le nombre de personnes qui prirent la fuite hors du royaume de France. Cette migration forcée est d’emblée présentée par les réfugiés eux-mêmes comme un acte volontaire au nom de la foi, un sacrifice personnel pour préserver leur liberté de conscience. Si cet aspect est incontestable, il n’en demeure pas moins qu’il n’est pas toujours pertinent d’opposer les migrations forcées pour des motifs religieux aux migrations choisies en fonction de stratégies personnelles, professionnelles ou économiques. Une étude plus approfondie montre combien les départs des huguenots – mais aussi des juifs séfarades– pouvaient être articulés à des choix plus pragmatiques : la présence d’un environnement commercial favorable par exemple ou celle d’un réseau d’amis ou d’associés qui permettaient une vie meilleure, non seulement en termes de liberté de conscience mais aussi en termes matériels. Cette réflexion sur les migrations choisies, à partir du cas des huguenots, permettra de remettre en question une catégorisation des migrations, souvent hiérarchisées en fonction d’une échelle morale dont il faudra interroger les origines et les ressorts politiques. Marianne AMAR Des réfugiés au travail : la réinstallation des « élites déplacées » (1945-1951) En 1945, au moment de la capitulation, on compte en Europe vingt millions de réfugiés et déplacés, étrangers et Allemands, si nombreux et si divers dans leurs origines et leurs trajectoires que les statistiques s’accordent mal. Après les rapatriements massifs de l’été 1945, demeurent en Allemagne environ un million de personnes déplacées, désignées sous l’acronyme D.Ps (displaced persons), placées sous la protection de l’UNRRA jusqu’en 1946, puis de l’Organisation internationale des réfugiés (OIR) jusqu’en 1951. La catégorie est d’abord définie par le politique : les réfugiés et expulsés allemands, les collaborateurs du Reich sont exclus de la protection. Dans un second temps, la gestion des DP, et les camps qui les hébergent, s’organisent autour des appartenances nationales et religieuses. Mais très vite le travail et le social vont structurer la société internée et les procédures de réinstallation qui succèdent aux rapatriements. Dans cet ensemble, entre sortie de guerre et installation de la guerre froide, entre impératifs de la reconstruction et prémisses de la modernisation, le sort des « élites déplacées », catégorisés « intellectuels et spécialistes » par l’OIR, apparaît singulier. Refusés par les pays de réinstallation qui réclament avant tout des « bras », ils font l’objet d’une attention et d’une politique spécifiques de la part de l’OIR et se trouvent pris dans un jeu d’acteurs à l’échelle du monde, qui mobilise des stratégies tout à la fois complémentaires et contradictoires. La première les dépeint en hérauts de la nation en exil et s’inscrit dans une « politique de la pitié » ; la seconde veut « vendre » leur utilité, empruntant aux techniques du marketing qui fondent la société de consommation. Mais pèsent aussi dans la négociation de l’accueil d’autres facteurs – la trajectoire de guerre et de sortie de guerre, l’âge, le genre, la situation familiale, les hiérarchies imposées entre nationalités et religions – qui relèguent le travail au second rang. Dans les interstices de ce jeu complexe qui hésite entre deux priorités – réinstaller d’abord ou maintenir son rang – les DPS essaient de se glisser pour retrouver le contrôle de leurs trajectoires sociales et migratoires, quitte à faire le pari du temps long pour les réaccorder.

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