Si difficiles innovations fiscales ! Du Moyen Age à nos jours
Carte blanche à l'Institut de la gestion publique et du développement économique-Comité pour l’histoire économique et financière de la France
Dès Philippe Le Bel (1285-1314), la fiscalité publique requiert le consentement des contribuables et innover impose des trésors de diplomatie, sans garantie de résultat. Pourquoi l’innovation fiscale est-elle si difficile ? Quelles sont les conditions de sa réussite ?
Au Moyen Âge, la rançon à payer pour la libération de Jean le Bon (1356) nécessite une levée d’impôts nouveaux. Mais Paris se soulève, emmené par son maire, Étienne Marcel, et impose des agents élus pour s’occuper du fisc. Le roi comprend la leçon et, dos au mur pour bouter l’Anglois hors de France, il prend désormais des voies détournées. En 1439, l’armée est l’objet d’une première organisation permanente mais la pérennité du prélèvement fiscal demeure un non-dit. Les impôts resteront des recettes extraordinaires jusqu’à la Révolution.
À l’époque moderne, les Bourbons poursuivent le chemin des Valois, en utilisant l’exception et le temporaire. Le passage en force se déroule souvent mal. Sous François Ier, l’Aquitaine, autrefois Plantagenêt, se révolte contre l’extension de la gabelle. Sous Mazarin, les édits fiscaux du Toisé et des aisés, la menace de suppression de la paulette, taxe garante de l’hérédité des offices, participent au déclenchement de la Fronde. Les innovations réussies ne sont pas durables : capitation (1695), dixième (1710), taxes de guerre, s’arrêtent à la paix. Un météore passe en 1720 avec la fin du système Law. En 1749, l’implantation par Machault d’Arnouville d’un vingtième des revenus de la propriété, à durée indéterminée, se solde par le départ du ministre, l’exemption du clergé, la neutralisation du contrôle des déclarations individuelles et une contestation des parlements qui ne s’arrêtera qu’en 1789. Il faut la Révolution pour imposer un nouveau système fiscal.
Au XIXe siècle, le débat sur l’impôt progressif sur le revenu des personnes physiques débute en 1848 et dure jusqu’en 1914. La peur du socialisme et les déficits publics obligent la bourgeoisie à un sacrifice financier pour garantir la stabilité de l’ordre social.
Après la Seconde Guerre mondiale, se répètent les mêmes logiques : innovations en période exceptionnelle (1945, Sécurité sociale et son appareil de cotisations), révoltes ponctuelles (2013, contestation de l’écotaxe) ou encore débats parlementaires homériques (1990, contribution sociale généralisée). Les voies de la réforme fiscale sinuent entre l’aménagement de l’existant (élargir les assiettes ou les réduire comme le projet actuel sur la taxe d’habitation) et la suppression d’acquis (niches fiscales, jour férié travaillé comme le lundi de Pentecôte) ou de taxes (suppression en 2000 de la vignette automobile) ?
Les modalités de l’innovation fiscale touchent aux traits de caractère de la société française : attentes fortes vis-à-vis de l’État, large adhésion à un certain modèle social, passion de l’égalité, défense des libertés locales ou individuelles. Les enjeux sont chaque fois fondamentaux.