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Quand voir c'est faire

Carte blanche à l'Institut de Recherches Historiques du Septentrion de l'Université de Lille

Quelle est la voie (la « voix ») des historiens au sein de ce qu’il est convenu d’appeler un « tournant visuel » dans les sciences humaines et sociales, depuis une trentaine d’années ? Par « tournant visuel » on entend ce moment où les images ont commencé à devenir centrales en ethnologie, en sociologie, en histoire, en esthétique, en études culturelles. Car on ne les comprenait plus comme de simples représentations (de mythes, de problèmes sociaux, d’idées) mais comme des agents sociaux à part entière. Et la vision a cessé d’être perçue seulement comme un phénomène naturel, pour être abordée comme une construction culturelle historique. Quand Leon Battista Alberti affirme, au milieu du XVe siècle, que regarder une peinture représentant un cours d’eau peut guérir de la fièvre, il faut y voir une expérience du regard bien différente de la nôtre ; et il faut comprendre comment cette expérience s’est transformée.

L’ancienne histoire des représentations est devenue une anthropologie historique du visuel qui interroge les images matérielles et la vision selon de tout autres questions : comment se sont élaborées les techniques visuelles par lesquelles les images nous émeuvent, nous obligent ? Comment ont-elles contribué à construire des imaginaires collectifs qui agissent sur les choix politiques, les relations sociales, les attitudes religieuses ? Comment et depuis quand cohabitons-nous avec elles jusque dans nos chambres ? 

Les grandes œuvres d’art laissent alors la place aux « petites images » et aux objets populaires de vision : talismans portatifs, images d’Épinal, lanterne magique, stéréoscope, flux Instagram… D’un point de vue historique, les artefacts impliqués dans les processus de subjugation et d’influence sont très souvent modestes, produits en série. Si les œuvres d’art se doivent d’être uniques, les images ont plus de force si elles se reproduisent. S’explique ainsi par exemple la présence répétée de ce portait magique d’enfant pleurant, à partir des 1950, dans un nombre toujours plus important de foyers populaires, tantôt réputé protecteur (figure votive), tantôt maudit, lorsqu’un incendie ravage la maison, laissant intacte l’image du crying boy.

Pour aborder ces grandes questions, nous aborderons des cas d’études troublants, du Moyen Âge à nos époques. La longue durée permet parfois de mettre au jour de grandes évolutions dans les cultures visuelles, qui permettent d’historiciser ce qu’une certaine approche cognitiviste de la vision réduit à un fait naturel et intemporel. Mieux encore, l’approche micro-historique permet de questionner ces grands récits des régimes scopiques eux-mêmes. Avec cette double focale, nous observons l’histoire des images pour qu’elles agissent sur notre expérience du monde. Nous sommes comme ces enfants des Pays-Bas, jouant avec leurs boites d’optique : ils y introduisent de petites figurines, et le regard, circulant et prenant possession des choses, doit agir sur eux comme un vaccin visuel…

 

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