Magellan : un nom majuscule pour 241 vies minuscules
Imaginez une épopée, une épopée terrible, avec deux océans où s’abîment les nefs et les rêves, et entre les deux un détroit peuplé de gloire et de géants. Imaginez un conte, un conte cruel, avec des Indiens, quelques sultans et une sorcière brandissant un couteau ensanglanté. Un conte, oui, mais un conte de faits : une histoire où tout est vrai. - De l’histoire, donc. - Cette histoire – celle de l’expédition de Fernand de Magellan et de Juan Sebastián Elcano –, on nous l’a toujours racontée tambour battant et sabre au clair, comme celle de l’entrée triomphale de l’Europe, et de l’Europe seule, dans la modernité. - Et si l’on changeait de ton ? - Et si l’on poussait à son extrême limite, jusqu’à le faire craquer, le genre du récit d’aventures ? Et si l’on se tenait sur la plage de Cebu et dans les mangroves de Bornéo, et non plus sur le gaillard d’arrière de la Victoria ? - Et si, par dessus le marché, on regardait derrière la statue du Grand découvreur pour y découvrir, tapis dans l'ombre de sa légende, tous ceux qui ont payé le prix de son exploit ? - Hans le canonnier, Martín de Ayamonte, Juanillo, Richard de Normandie, Juan Negro l’esclave africain : il faut se souvenir de tous ces hommes, de toutes ces destinées ; il le faut pour se rappeler cette simple et âpre vérité : il faut quantité de vies infimes pour faire une vie majuscule. Il fallut 241 mousses, marins, calfats et capitaines – et un esclave malais – pour faire un Magellan.