Lettrés et illettrés : ce que nos angles morts nous disent
Carte blanche aux Éditions Champ Vallon
Cette table ronde interroge les enjeux actuels du dossier délaissé des cultures « populaires » : pourquoi et comment revenir sur la part des cultures européennes nées de l’oralité, un champ que les courants historiographiques récents ont dans l’ensemble refermé ? Depuis la fin des années 1980, la crise de l’histoire de la culture dite « populaire » a laissé un champ en friche – après des critiques qui n’étaient pas foncièrement insurmontables, comme l’ont montré les approches de Jean-Claude Schmitt, Carlo Ginzburg ou Roger Chartier. Une parenthèse ouverte dans le sillage de l’École des Annales s’est en bonne part refermée. Les sciences humaines sont discrètement peu à peu retournées vers la tradition bien plus ancrée de déconsidération des pratiques et rites non issus d’une liturgie normative, et plus généralement des représentations issues des populations européennes non lettrées.
L’histoire ne peut faire l’économie d’une analyse réflexive sur ce processus, qui la replace dans le sillage de la très longue tendance des élites (politiques, religieuses, lettrées, scientifiques) à occulter, contrôler, enfin à se définir en partie par opposition à des pans entiers de culture qu’elles considéraient comme subalternes. Peut-être d’autant plus qu’elles n’y étaient pas imperméables – et qu’elles ne le sont toujours pas. La part des cultures européennes nées de l’oralité reste, malgré une longue violence de domination, présente en nous : la reconnaître et l’étudier revient aussi à regarder une part d’ombre qui est nôtre.