Les Mondes de l'Esclavage
C’est l’histoire d’un crime resté longtemps plongé dans des récits approximatifs : l’esclavage. Le mot lui-même, débordant de souffrances à peine retenues et de déni profondément coupable, a bien du mal à trouver une définition stable. Les réalités qu’il recouvre sont tellement contrastées, entre l’esclavage de la Grèce ou de la Rome antiques et celui de la Gambie du XIXe siècle, entre la traite transatlantique et l’esclavage à l’œuvre dans la Chine des Ming, sous l’empire ottoman ou dans la Mauritanie contemporaine, qu’on ne peut pas parler du monde, mais bien des mondes de l’esclavage. Des mondes que vient enfin explorer un collectif - plus de 50 historiens, juristes et anthropologues - dans une somme impressionnante publiée cet automne aux éditions du Seuil. En éclairant - et clarifiant - un phénomène extrêmement répandu dans des sociétés fort diverses (et souvent construites autour de l’institution même de l’esclavage), cette histoire comparative pose les appuis qui manquaient pour saisir les singularités du phénomène dans chacune des « zones d’esclavage » concernées ; mais elle pose aussi des cadres solides pour les débats en cours et à venir sur l’indispensable devoir de mémoire envers les victimes de ce crime, et leurs descendants. Un devoir de mémoire acquis sur le plan juridique, grâce à la loi Taubira qui, il y a 20 ans, reconnaissait comme un crime contre l’humanité « la traite négrière transatlantique ainsi que la traite dans l’océan Indien d’une part, et l’esclavage d’autre part », mais qui exige encore que les ressorts de l’esclavage soient mieux compris. Car son abolition, rappellent les auteurs, « n’a pas scellé son histoire ». Et le passé esclavagiste n’est pas « une histoire des autres » : c’est toujours, et encore, la nôtre. Olivier Pascal-Moussellard