Les images confisquées. Comment exposer des histoires invisibles ?

Carte blanche à l'EPPPD - Musée national de l'historie de l'immigration

Entre l’absence d’images et leur trop plein, entre invisibilité sociale, destruction des traces et stéréotypes visuels, entre résistance à l’image et figures imposées, que peut le Musée ? Comment faire récit, et avec quelles images, quand ces encombrants héritages apparaissent souvent comme l’exact envers de ce qu’il voudrait écrire ? À l’occasion de cette table-ronde, le Musée national de l’histoire de l’immigration entend confronter ses questionnements autour des migrations à trois autres moments historiques.

Benjamin Stora est historien, professeur des universités, inspecteur général de l'Education nationale (IGEN) et président du Conseil d'orientation du Musée national de l'histoire de l'immigration. Spécialiste de l’histoire de l’Algérie et de la guerre d’indépendance, du Maghreb contemporain, de l’histoire coloniale et de l’immigration en France, les enjeux de représentation et d’invisibilité, y compris dans les retours mémoriels, traversent ses recherches. Autour de cette question, il a publié plusieurs ouvrages, notamment Photographier la guerre d’Algérie (2004), Imaginaires de guerre (1997), La guerre invisible. Algérie 1990 (2000), La guerre d’Algérie expliquée en images (2014), Histoire dessinée de la guerre d’Algérie (2016). Parmi ses autres publications récentes : Voyages en postcolonies (2012), Les Clés retrouvées (2015), 68, et après, Les héritages égarés (2018). Ses ouvrages et articles sont traduits en plusieurs langues étrangères (anglais, arabe, espagnol, allemand, russe, vietnamien).

Ilsen About, historien, chargé de recherche au Centre Georg Simmel (CNRS, EHESS) est commissaire de l’exposition « Mondes tsiganes. La fabrique des images » au Musée national de l’histoire de l’immigration (catalogue publié chez Actes Sud). Il traitera de cette population surreprésentée, presque ensevelie par une multiplication d’images imposées, inventées, conçues pour la définir et en fin de compte, produire une figuration typologique, qui la fige et fait disparaître l’histoire individuelle et collective. Mais le retournement de ces photographies permet finalement d’opérer une réappropriation et une redécouverte des traces inscrites au cœur d’images stéréotypées.

Anne Lafont, historienne de l’art, directrice d’études à l’EHESS (Centre de recherches sur les arts et le langage) proposera de réfléchir à ce que nous disent les images des hommes et des femmes noir.e.s dans l'art du XVIIIe siècle. Car s’ils y sont remarquablement présent.e.s, il est évident que les mots ont manqué tout au long de la période contemporaine pour dire cette présence. Euphémisée, elle l'a été essentiellement par l'absence de discours pour prendre en charge ces figures - personnalités noires, africaines, esclaves ou libres -  et leurs vies, en France comme dans les colonies. La fortune de quelques pièces exemplaires et d'autant de destins particuliers permettra d’approcher l'image comme symptôme d'un tabou.

Arno Gisinger, artiste et historien, maître de conférence au département Photographie de l’Université Paris 8,  s’intéressera aux questions liées à l’invisible et à ses représentations, à travers la question de la spoliation — le vol systématique et à grande échelle des biens juifs entre 1933 et 1945. Elle révèle en effet de façon paradoxale la puissance des images face à l’histoire. La photographie en particulier a cette formidable capacité de « figurer » un objet tout en nous faisant sentir son absence physique. Elle reste ancrée dans le réel par l’acte de la prise de vue, mais elle transforme ses sujets en représentations visuelles : des sources qui deviennent œuvres ou documents et qui nécessitent interprétation. Depuis son travail Invent arisiert sur les meubles spoliés à Vienne en 2000, Arno Gisinger a travaillé à plusieurs reprises sur le rôle des images dans le processus de la spoliation (Dies ist der Stuhl für den Paten, 12 Interiors, 147, rue Sainte Catherine, Gespenstergeschichten).

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