Les Grandes Chroniques de France : de l'histoire au mythe et du mythe à l'histoire
Carte Blanche aux Éditions du CTHS
Dans le royaume des lys du bas Moyen Âge, aucune œuvre historique en français n’a connu le retentissement des Grandes Chroniques de France. De cette fortune, il reste, témoins d’une diffusion dans toute la société lettrée de l’époque, plus d’une centaine de copies manuscrites conservées. Les Grandes Chroniques de France, œuvre discrètement entreprise à l’abbaye de Saint-Denis à la fin du XIIIe siècle, sont ainsi devenues un lieu commun des collections d’aristocrates et d’érudits médiévaux. Jusqu’à la Renaissance et au-delà, elles ont fourni à l'essentiel des récits historiques traitant de la France leur chronologie spécifique, leur régime d’historicité, leurs obsessions, leurs omissions et leurs jugements de valeur.
L’éblouissement a duré jusqu’au XXe siècle, perpétué par les éditions d’érudits positivistes, et amplifié par les fantasmes d’historiens de la Belle Époque. Sous la plume des médiévistes, les Grandes Chroniques se sont muées en une propagande en faveur de la couronne, qui voyait dans l’essaimage d’une culture historique partagée le meilleur moyen de faire advenir la nation France.
Cette appréhension univoque ne rend pourtant pas compte des circonstances proprement historiques qui ont vu les Grandes Chroniques peu à peu se défaire de leur réalité textuelle et matérielle pour s’imposer comme une évidence du logiciel français, authentique « lieu de mémoire » et « Bible de la France ». Le mythe des Grandes Chroniques, « historiographie officielle » rédigée à l’ombre des flèches de Saint-Denis, a en effet une histoire : celle du succès d’un ouvrage que rien ne prédestinait à pareille postérité.