Le retour des frontières : « la mondialisation est-elle allée trop loin ? »*

La mondialisation a eu des effets globaux positifs, surtout pour les pays émergents, mais elle a généré des conséquences sociales négatives. Le temps d’un Globalization backlash est-il venu ? À la lumière des phases passées, quelles seraient les conséquences d’un retour du protectionnisme au degré d’intégration

aujourd’hui atteint ?

La mondialisation est-elle allée trop loin ? Telle était la question que posait Dani Rodrik dès 1997. Plus de vingt ans plus tard, un bilan est possible. Si elle a encouragé la croissance mondiale, y compris celle des pays développés, aidé des millions d’êtres humains à sortir de l’extrême pauvreté, elle a surtout bénéficié à quelques pays émergents, provoquant un rééquilibrage majeur des puissances économiques. Elle a eu aussi des conséquences négatives en termes de croissance des inégalités partout dans le monde et suscité de ce fait des réactions sociales.

Aujourd’hui le temps d’un Globalization backlash est-il venu ? C’est ce que semble annoncer la politique commerciale prônée par Donald Trump, les guerres commerciales annoncées et déjà commencées, la rupture de traités multilatéraux (climat, ALENA, Transpacifique...), les guerres de politiques fiscales, mais aussi les tensions intra-européennes et intra zone euro dont les positions du groupe de Visegrád, le Brexit, la victoire électorale populiste en Italie sont des signaux forts. Assiste-t-on au retournement du « cycle » libre-échange-protectionnisme ou ouverture-fermeture ? Quelles seraient les conséquences d’un retour affirmé du protectionnisme au niveau d’intégration aujourd’hui atteint par les flux de capitaux et la production (avec le développement accompli des chaînes de valeur transnationales) ? Le protectionnisme est-il toujours pernicieux, le libre-échange bénéfique ? Ne peut-on s’étonner d’observer que les assauts protectionnistes visent seulement les échanges de marchandises (pour ne pas parler des déplacements des hommes et des femmes) et non les flux de capitaux dont la libération a eu, pourtant, des conséquences déstabilisatrices plus importantes ? 

Les expériences passées peuvent nous aider à comprendre les conséquences d’une réaction protectionniste. Il s’agit d’abord de la période de la fin du XIXe siècle (une « première mondialisation » selon Susanne Berger, mais obtenue grâce aux progrès des transports, et qui fut aussi paradoxalement une réaction protectionniste surtout des « émergents » d’alors, USA, Allemagne, le Royaume-Uni restant libre-échangiste) jusqu’à la fermeture de 1914. Après les échecs des tentatives de reconstruction des années Vingt, la Grande crise des années Trente va ensuite s’accompagner d’une course à la protection dramatique, les rétorsions faisant suite aux hausses des tarifs, et jusqu’à l’extrême avec la volonté autarcique de l’Allemagne après 1933. Ces deux moments protectionnistes se sont développés après deux grandes crises mondiales (la Grande dépression fin XIXe, les années Trente), et celles-ci les expliquent. Mais ils ont eu des conséquences différentes. Le premier moment a eu des effets positifs en terme de croissance et a facilité le développement de grandes réformes sociales, mais n’est-ce pas parce que, grâce à la baisse des coûts de transport, le monde continuait de s’ouvrir ? Le second moment enfonça les économies dans la crise et éloigna la reprise économique.

La montée des inégalités suite aux grands bouleversements innovateurs et à la mondialisation, les coûts économiques et sociaux de la Grande récession de 2008, les conséquences politiques du délitement social rendent compte du besoin de protection, de la montée du populisme, et du protectionnisme. Mais le processus de mondialisation en marche surtout depuis les années 1980 a conduit à un degré d’ouverture et d’intégration nettement plus élevé qu’au début du XXe siècle. Les coûts de la rupture seraient-ils de ce fait plus élevés ?

Surtout, on ne peut considérer le protectionnisme seulement d’un point de vue économique. Il a été un aspect de la montée du nationalisme, il a été accompagné de son frère jumeau, l’impérialisme. Le nationalisme a poussé à l’affrontement guerrier, et les deux périodes se sont terminées par deux guerres mondiales. Les conséquences économiques d’un protectionnisme modéré sont une chose, les dérives extrêmes auxquelles le nationalisme peut conduire en sont une autre.

Pierre Dockès 

 

* Has globalization gone too far ?, Dani RODRIK, Institute for International Economics, 1997

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