La véritable histoire de l'orchestre rouge
L’histoire se construit-elle sur la base de mensonges ? L’imposteur a-t-il d’autant plus de chance d’imposer son récit qu’il a pris la peine d’éliminer les témoins ? Les héros sincères sont-ils condamnés à la discrétion, voire au silence ? Telles sont les questions posées par la plus célèbre des affaires d’espionnage de l’histoire de la Seconde Guerre mondiale, l’Orchestre rouge, sujet qui a donné lieu à d’innombrables livres et articles, à des films et des feuilletons télévisés. Ces vingt dernières années, Guillaume Bourgeois a visité l’essentiel des archives reliées à cette question. Il s’est livré à une patiente et totale déconstruction de ce monument de la guerre secrète. Après en avoir remis debout les pans, suivant les méthodes de l’historien, il a été frappé par le nombre de pistes très nouvelles qui s’ouvraient, par la quantité de personnages qui n’avaient jamais été identifiés, de témoins décisifs qui n’avaient jamais été interrogés.
Il en ressort que presque tout ce que l’on a su sur cette affaire était faux. Le groupe dit de « l’Orchestre rouge », basé successivement à Bruxelles puis à Paris, n’a livré aucune information stratégique à l’Union soviétique. Son chef a commis des bévues telles qu’il l’a conduit à son rapide démantèlement. Lui-même, Léopold Trepper, a livré aux Allemands ce qui restait de son réseau, condamnant à mort la presque totalité de ces hommes et femmes, juifs pour la plupart. Il a collaboré presqu’un an avec la Gestapo, dans un tel climat de confiance propice à ce que les policiers nazis relâchent leur pression, lui permettant de s’évader. Après avoir été condamné par les Soviétiques pour haute trahison et purgé une dizaine d’années d’emprisonnement, Léopold Trepper eut la chance de croiser Gilles Perrault à qui il affirma avoir berné les Allemands. Le « Grand Jeu » qu’il prétendit avoir joué aurait contraint Berlin à révéler d’essentiels secrets aux Soviétiques et à préserver les gens de son réseau.
Une légende appelée à durer presque 50 ans puisque le livre L’Orchestre rouge, sorti en 1967 continue sa carrière de best-seller, après avoir été traduit en une vingtaine de langues. Utilisant tous les subterfuges, Léopold Trepper imagina pour bâtir ladite légende une version suffisamment astucieuse et congruente des événements pour sembler crédible. Il réussit à berner, tour à tour, son biographe et tous ses interlocuteurs ultérieurs. Ceux qui avaient le plus de raisons de douter finirent par consentir à sa version. Pourquoi la société tout entière voulut-elle le croire ? Pourquoi fit-elle de son récit l’emblème de l’âpreté au combat et de l’esprit de sacrifice des résistants ? Comment le mythe des insolents succès de Trepper devint-elle une gigantesque fausse bonne nouvelle ? Autant de questions auxquelles nous réfléchirons avec Guillaume Bourgeois.