La crise de 2008 et ses prolongements inaugurent-ils une « grande transformation » ? Ou la revanche de Karl Polanyi
Dix ans après la crise de 2008, l’ère du néo-libéralisme semble révolue. Elle aura duré une quarantaine d’année et provoqué une réaction de rejet des sociétés. Un nouvel ordre productif se cherche, mêlant angoisses et espoirs. On retrouve les enseignements de Polanyi dans La Grande transformation. - Polanyi expliquait qu’à la fin du XVIIIe siècle et au début du XIXe siècle l’économie, qui jusqu’alors avait toujours été encastrée (embedded) dans la société, s’était autonomisée, émancipée. Sous la pression des intérêts, la croyance en des marchés autorégulateurs élaborée par les libéraux avait conduit à la mise en œuvre d’une vaste expérimentation socio-économique. Elle sera d’autant plus destructrice que trois marchandises fictives – travail, terre (ou nature) et monnaie – étaient abandonnées au libre marché.
La société ne pouvait que rejeter cette dystopie et, dès les années 1880, s’opérait une reprise en main régulatrice par les États sous des formes diverses, certaines dramatiques. À l’heure où il écrivait – en 1944 – l’ère libérale pouvait lui apparaître comme une simple parenthèse. Cependant, dès la fin des années 1970, une nouvelle vague libérale surgit et elle enfle jusqu’à la crise de 2008. Les régulations étatiques étaient supprimées, les marchés autorégulateurs s’imposaient : mondialisation, dérégulation financière, flexibilité du marché du travail, valeur actionnariale étaient devenues les axes de la nouvelle économie. - Finalement, n’était-ce pas la période du retour des régulations étatiques qui était une parenthèse ? La thèse de Polanyi semblait contredite. Mais, à nouveau, après une quarantaine d’année de néo-libéralisme débridé, les conséquences socialement destructrices des marchés autorégulateurs se sont développées. On a assisté à l’explosion des inégalités, à l’augmentation du chômage et/ou de la précarisation des travailleurs, parfois même à la remontée du paupérisme ; les pays développés se sont désindustrialisés ; la croissance de la productivité s’est effondrée tandis que s’accentuaient les crises. L’économie de libre marché conduisait à une société bâtie à son image et la société ne pouvait que réagir. Comme à la fin du XIXe et au début du XXe siècles, les conséquences sociales des marchés autorégulateurs apparaissent insupportables aux populations, les mouvements politiques et sociaux s’intensifient.
La Grande récession pourrait avoir amorcé le basculement. On assiste à un retour du protectionnisme, les demandes de protection sociale enflent, les États retrouvent une volonté interventionniste. Les conséquences climatiques et écologiques du laissez-faire sont si fortes qu’une réaction régulatrice globale s’impose. L’économie doit être ré-encastrée dans le politique et le social, et cela au niveau planétaire. Mais cette réaction de la société peut connaître des dérives nationalistes, xénophobes, autoritaires, comme lors de la Grande transformation.