Histoire des lointains maritimes
Longtemps la terre s’est pensée entourée d’une eau aussi inquiétante qu’illimitée : zones lointaines déployées aux extrêmes d’un horizon entouré de liquides, peuplées de monstres et de dangers. Océan mortifère, d’une part, par ses vagues colossales, ses déferlantes, sa terrifiante aridité, terres ultimes et habitants inquiétants d’autre part, par leurs manques, leurs hybridations, leur sauvagerie : têtes absentes ou têtes de chiens, pied unique ou pied fourchu, œil multiple ou œil bestial, férocité aussi constante que délibérée. Longtemps aussi l’océan a conservé cette troublante hostilité : les récits médiévaux débordent de références sur des îles aimantées égarant les marins, des ouragans furieux engloutissant les équipages, des pluies de pierre et de feu dévastant les bateaux. Les découvertes de la modernité, assurant toujours mieux la navigation hauturière, par la boussole, les embarcations pontées, les voiles remontant le vent, révolutionnent le rapport à l’océan. Mais cette domination croissante de l’immensité, ne peut écarter d’autres obstacles : celui, en particulier, venu d’interminables et nouvelles traversées, la pourriture menaçant les réserves, le scorbut menaçant les corps, l’usure menaçant les bâtiments. La tradition du long cours est dès lors aussi celle de la souffrance et du dénuement des hommes, jusqu’à, quelquefois, l’extrémité. Il faut de lentes et décisives révolutions scientifiques, techniques, sanitaires pour que la mer soit insensiblement apprivoisée. L’histoire se complexifie alors interminablement, d’autant que l’horizon maritime des époques pré-contemporaines et contemporaines, n’est plus seulement celui de la surface, mais encore celui de la profondeur, celui des explorations sous-marines, celui d’aventures prétendant quelquefois approcher les sources de la vie. Histoire toujours plus complexe, enfin, lorsque s’y ajoute le problème désormais actuel du réchauffement climatique, anéantissant les glaces, ravageant les côtes, multipliant les ouragans.