Guerre et innovation : une histoire politique

Carte blanche à la Direction des Patrimoines, de la Mémoire et des Archives

Depuis l’introduction de l’arme à feu, jusqu’à la robotisation du champ de bataille, en passant par l’apparition du nucléaire, l’histoire de la guerre est jalonnée par des innovations qui semblent en avoir profondément infléchi le cours. Pourtant, en dépit de cette infinie variabilité du facteur technique, la pensée militaire est restée attachée à l’idée que la guerre était réductible à des principes constants. En 1520, dans L’art de la guerre Machiavel considérait que l’arme à feu récemment introduite sur les champs de bataille, ne constituait « pas du tout un obstacle au projet de faire revivre, dans les armées, les institutions et la vertu des anciens ». Machiavel entendait ainsi fonder un art de la guerre sur des principes invariables, que les innovations techniques n’étaient censées perturber en aucune façon. A l’opposé de cette pensée, les ingénieurs de la Renaissance exploraient les voies d’un art de la guerre profondément renouvelé par les nouvelles données techniques. Ainsi se creusaient deux sillons, qui ont traversé la pensée militaire à travers les siècles : d’une part une tradition « humaniste », qui postule la permanence du facteur humain et, d’autre part, une pensée techniciste, qui insiste sur la variabilité du facteur matériel. Au XXe siècle, cette opposition a été résumée par Basil Liddell Hart dans son traité de stratégie : « Dans la sphère des données physiques, le seul facteur constant est, précisément, que les moyens et les conditions varient constamment. Par contre, les réactions de la nature humaine ne varient que médiocrement devant le danger ».



La tension entre ces deux approches ne fut jamais aussi intense qu’à la veille de la Première Guerre mondiale. Ce débat se nourrissait, en fait, d’une véritable philosophie de l’histoire qui mettait en jeu la nature même des relations entre guerre et innovation.

Comme le montre l’exemple de la Première guerre mondiale, la pratique de l’innovation, est indissociable de sa pensée. Plus près de nous, le modèle historiographique de la « révolution militaire », né sous la plume de l’historien moderniste Geoffrey Parker, est devenu, au grand dam de son promoteur, un véritable projet politique et militaire. Aux Etats-Unis dans les années 1990, la notion de « Revolution in Military Affairs » a été définie comme « un changement de fond dans la nature de la guerre, causé par l’application innovatrice de nouvelles technologies qui, combinée à des changements en profondeur de la doctrine militaire et des concepts opérationnels et organisationnels, altère radicalement le caractère et la conduite des opérations militaires ». C’est au nom de cette conception de l’histoire de la guerre, qui accorde la primauté à l’innovation technologique, que l’outil de défense des Etats-Unis a été façonné au début des années 2000, sous l’étendard de la « doctrine Rumsfeld ».



Le rapport entre guerre et innovation constitue donc un objet historiographique doublé d’un authentique enjeu politique.