Gouverner les mémoires : quels enjeux à l’heure de la mondialisation ?
Table ronde, Carte blanche à la Revue Parlement(s)
Peut-on encore gouverner les mémoires à l’heure de leur mondialisation et des réseaux sociaux qui instaurent des partages horizontaux des passés historiques ? Gouverner la mémoire, est-ce administrer un passé édifiant afin de transmettre aux concitoyens « la possession en commun d’un riche legs de souvenirs » (E. Renan) dans un souci de cohésion sociale et nationale ? Ou est-ce avant tout reconnaître, dans un souci démocratique, la pluralité des expériences historiques singulières vécues par des individus et leurs descendants ? Est-ce réparer les crimes du passé par le biais de la justice et d’une investigation historienne qui vient administrer la preuve en les documentant ? Ou est-ce produire une narration héroïque exaltant le peuple favorisant ainsi des identifications et une communauté de destin ? Il s’agira de se demander si la mondialisation de la mémoire, en instaurant une gouvernance mémorielle, favorise l’établissement général d’une « juste mémoire » (P. Ricœur), ou si elle conduit à une uniformisation des pratiques de gouvernances aux dépens des populations concernées. Répondre à ces interrogations nécessite d’examiner les enjeux de cette mondialisation, les différents acteurs impliqués, les objets historiques saisis ainsi que les effets sur les opinions publiques. - Depuis quelques décennies, le gouvernement des mémoires dans le monde est confronté aux impératifs de réconciliation post-conflits et de réparations des victimes. On assiste à une diversification tant des acteurs (institutions supranationales, ONG, États, collectivités locales, associations, citoyens, internautes) que des instruments (justice transitionnelle, lois mémorielles, procès, commissions vérité, mémoriaux, monuments et commémorations) qui ont instauré des gouvernances à prétention universelle. En outre, l’élargissement à la fois géographique (la compétence universelle) et temporel (l’imprescriptibilité) des champs d’application a profondément modifié les buts et les pratiques des gouvernances mémorielles. Cette mondialisation des mémoires crée en retour des gouvernements de la mémoire centrés sur la nation qui pénalisent des discours divergents sur le passé (Pologne, Russie, Turquie par exemple). - Cette carte blanche propose un aperçu de ces évolutions mêlant des approches locales (Espagne, Taïwan, France), internationales et transnationales.