Fromentin ou le rêve d'Orient
Dans l’esprit du Grand Tour – voyage initiatique que les jeunes gens de bonnes familles et les artistes effectuaient en Europe pour se frotter aux autres cultures, émergea le « rêve d’Orient » qui en poussa certains jusqu’au Maghreb ou au proche Orient. On pense à Chateaubriand, à Byron, à Flaubert et, bien sûr, Fromentin. Renforcé par la campagne d’Egypte menée par Bonaparte, dans les dernières années du XVIIIème siècle et les découvertes scientifiques ou artistiques qui y furent attachées, la fièvre d’Orient se mue en véritable rêve et influence durablement les styles. C’est ainsi que naîtra l’Orientalisme, pan majeur de l’art pictural au XIXème siècle où s’illustrera Fromentin aux côtés de Delacroix, Ingres, Decamps, Gérôme, Chassériau…, influençant jusqu’à Renoir ou plus tard, Picasso et Matisse. Eugène Fromentin (1820-1876), de cette génération fiévreuse des Flaubert, Baudelaire ou Dostoïevski, naît la Rochelle dans un milieu cultivé et sera vite fasciné par « le grand large ». Lors du premier voyage qu’il effectue en Algérie, il a 25 ans et y découvre mille perfections qui viendront nourrir son art, aussi bien celui du peintre que celui de l’écrivain qu’il est également. Figure unique de l’histoire de l’art, ce Janus bifrons « enfant gâté des fées de l’intelligence », comme l’écrira Maxime Du Camp, émerveille Théophile Gautier et bien d’autres : « M. Fromentin, écrit ce dernier, a un privilège que je n'ai encore vu personne posséder à un degré égal ! II a deux muses : il est peintre en deux langues. » De fait, de ses trois longs voyages au Maghreb (faits en 1846, en 1847/1848, puis en 1852/1853), Fromentin rapportera des chefs-d’œuvre dus à son pinceau, mais aussi de quoi publier deux éblouissants récits de voyage : Un été dans le Sahara et Une année dans le Sahel, superbes de style et de finesse dans la perception. Ce rêve d’Orient, devenu réalité, qu’il complétera par un séjour en Egypte pour l’inauguration du canal de Suez (1869), Fromentin le vit par tous les pores de sa peau et – oserait-on dire –, son « œil absolu ». Mû par son credo : faire émerger l’invisible par la grâce du visible, s’imprégnant des coutumes locales, comprenant mieux que quiconque une certaine mystique des paysages et des Etres, il fera de ce rêve un rêve partagé avec le public à travers toiles et récits : « La nuit était admirable, écrit-il, calme, chaude, ardemment étoilée comme une nuit de canicule ; c’était, depuis l’horizon jusqu’au zénith, le même scintillement partout, et comme une sorte de phosphorescence confuse au milieu de laquelle étincelaient de grands astres blancs et couraient d’innombrables météores. » (Un été dans le Sahara). C’est en peintre qu’il écrit ce rêve, en écrivain qu’il le peint, avec cette grâce que lui reconnaîtront les plus grands : Gautier, Sand, Baudelaire, Sainte-Beuve, Proust… Et n’est-ce pas là le signe que tout commence et finit par le rêve, fût-il celui du « spleen lumineux » de l’Orient ?