Archivistes et historiens face au patrimoine numérique

Carte blanche à l'École nationale des chartes

À l'occasion de la publication de l'ouvrage : Des archives considérées comme une substance hallucinogène de Michel Melot (École nationale des chartes)

À la fin du XXe siècle, le patrimoine quitte le paradigme des morts, monuments de l’histoire littéraire, artistique et intellectuelle, pour entrer dans celui des vivants, lieux de mémoire ou héritages immatériels élus par des communautés diverses. En 1986, au plus fort d’un engouement généralisé pour la notion de patrimoine, Michel Melot s’interrogeait avec ironie sur les motivations et les effets d’une conservation soi-disant intégrale du passé : jamais les archives, aussi exhaustives soient-elles, ne seront en mesure d’autoriser l’historien à revivre une absolue reconduction du temps.

À l’heure de l’archivage numérique massif, ce court texte paru sous le titre Les archives considérées comme une substance hallucinogène garde toute sa pertinence. À la fois très jeunes et volatiles, les archives numériques font partie de ce nouveau patrimoine qu’il faut préserver « vivant » pour assurer sa transmission aux générations futures. Dans son essai De l’écran à l’émotion : quand le numérique devient patrimoine (à paraître en 2024), Emmanuelle Bermès retrace le processus de patrimonialisation de ces nouveaux objets et fait le récit des engouements et controverses qu’ils suscitent.
Dans un dialogue intergénérationnel nourri par leurs expériences respectives, M. Melot et E. Bermès font le procès d’une culture numérique qui risque d’échouer à sédimenter ses propres traces, futures sources de l’histoire du temps présent. Réquisitoire, plaidoirie, discussion et sentence nous accordent sur un fait : nous avons besoin d'un « patrimoine » quoi qu’il arrive. Mais sans ignorer le changement de nature des relations de notre société aux traces qu’elle élabore et pérennise à travers le temps.