La mer est bleue comme une orange

Quelle est la couleur de la mer ? Bleue, c’est une évidence. Pourtant, en Grèce ancienne, la mer est pourpre comme le vin. Dans la peinture européenne au contraire, les vagues sont vertes, au point que Victor Hugo décrit l’océan comme une « hydre aux écailles vertes » (Oh ! je sais, 1852). La coloration de la mer est donc l’expression de représentations d’une société, et sa couleur varie autant que les conceptions qui y sont liées. Cette communication se propose de dresser un panorama des différentes teintes attribuées à la mer pour interroger en retour le rapport à la mer des Occidentaux. Nous partirons de Grèce pour saisir la diversité possible du vocabulaire utilisé pour décrire la mer : son apparence ne se dit pas seulement à travers les couleurs de l’arc-en-ciel mais aussi des effets de lumière. Nous côtoierons les femmes de pêcheurs du XIXe siècle pour qui la mer est grise comme l’attente et l’angoisse : les flots sont un espace de projection qui permet de refléter les émotions. Nous aborderons en Inde où la crainte des eaux noires (« kalapani ») s’insère dans un système de valeurs et de normes qui oriente voire contraint les comportements des individus : la couleur de la mer est à la fois l’expression et l’instrument des mécanismes sociaux. Nous ferons cap sur l’empire achéménide qui a défini des mers noire, rouge, blanche et bleue selon les points cardinaux : les teintes attribuées aux mers et océans sont une construction visant à donner un sens au monde. Nous reviendrons enfin en Occident, marqué par la civilisation des loisirs qui a forgé une vision littorale de la mer : la mer « d’azur » est l’horizon d’attente des touristes et, aujourd’hui, des instagrammers.