La Vérité sort de la bouche des mourants. Mourants, spectres et corps encore chauds, trois figures liminaires des récits du premier XVIIe siècle
La « littérature macabre » évoque traditionnellement d’un côté les danses macabres de la fin du Moyen Âge et de la Renaissance, de l’autre le roman gothique puis le romantisme noir des XVIIIème et XIXème siècles. La mort au XVIIème siècle, moins étudiée, l’est souvent par le prisme de genres historiques ou religieux de l’âge classique (après 1650). Pourtant, les romans et les Histoires tragiques, publiés entre 1600 et 1650, encore hantés par les massacres spectaculaires des guerres de religion, sont emprunts d’un imaginaire macabre patent, héritage croisé des danses macabres, des canards sanglants de la fin du XVIème siècle, des traités de démonologie écrits dans le cadre de la Contre-Réforme et des avancées récentes de la médecine, notamment en matière d’anatomie. Forts de cette rêverie macabre composite, ces récits posent de manière récurrente la question du message délivré par les mourants aux vivants et de l’usage que ces derniers en font, le point de vue du vivant éclipsant celui du mourant. Ces récits mettent ainsi en scène des personnages au bord de la mort, pas encore déjà morts, ou juste morts, imaginent leurs propos, ce qu’en font ceux qui restent et interrogent le rapport entre les vivants et les morts, souvent dans le but d’édifier le lecteur. Les figures de nos textes sont diverses : du juste mourant, au méchant condamné à mort prêt à la rédemption, ou au contraire à un pacte définitif avec le diable sardonique; du spectre juste disparu, encore capable de délivrer un ultime message aux vivants, au fantôme généré pour se faire simulacre du diable ; du corps encore chaud à celui juste entré en décomposition auquel l’emploi purement matériel qu’en font des vivants mal intentionnés, refuse la possibilité même d’une âme. Ces trois figures de ni-vivants ni-morts : les mourants, les spectres et les corps encore chauds, états liminaires présents dans nos récits en ce qu’ ils portent, peut-être, une leçon de vérité aux vivants et entretiennent encore avec eux une relation proximale, interrogent la capacité à penser la rupture entre vie et mort, ce « refus du dualisme de l’être », ce « refus de l’opposition du mort et du vif » décrits par Philippe Ariès. En effet, ils sont à relier aussi avec les conceptions de la mort qui se croisent en ce premier XVIIème siècle : vision théologique d’une mort punition ou d’une mort délivrance, vision démonologique créatrice d’une figure fictionnelle intermédiaire et donc transgressive : la sorcière, vision médicale d’un corps matériel, machine à démonter, vision littéraire de figures limites, pourvoyeuses d’effroi, de doutes et de réflexion morale : le corps, le mourant, le spectre, le vivant en deuil, le vivant traitant le corps mort en objet. Ces fictions offrent ainsi tout un panorama de situations, tentent de saisir, de mettre en mots, en fictions aux registres variés, cet indicible, ce « je ne sais quoi qui n’a plus nom dans aucune langue… » dont parlera Bossuet.