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© Bruno Lévy
Publié le 22/09/2023

Questions à Pierre Lemaitre, Président du Salon du livre

D’abord auteur de romans policiers, comment l’Histoire avec un grand «H» s’est-elle imposée à vous ?

Par le hasard (si l'on croit au hasard) d'un sujet de roman situé à la fin de la Première Guerre. Il m'a fallu plonger dans le travail des historiens, je ne savais pas que je mettais, à ce moment, le doigt dans l'engrenage de la périlleuse machine liant roman et histoire... L'histoire s'impose à moi comme un outil au service du roman et non l'inverse. Dans le "roman historique" (notion que je n'aime guère...), je privilégie délibérément le roman à l'histoire.

Comment un écrivain se libère-t-il de la vérité historique ?

Je me libère sans aucun problème de l'exactitude historique, les petites erreurs factuelles ne me dérangent pas, je n'ai aucun intérêt pour les boutons de guêtres.

En revanche, la "vérité" historique m'importe. Cette notion est évidemment bien sujette à caution... mais je tâche de faire preuve de pragmatisme. Cette question de la distance que le roman peut se permettre vis-à-vis de l'histoire se résout sur le plan moral. Je pourrais la formuler ainsi : les entorses que j'inflige à l'histoire sont-elles compatibles... avec le romancier, avec la personne que je suis ? M'affranchir de la réalité historique en écrivant, par exemple, un roman à caractère révisionniste serait incompatible avec les valeurs à partir desquelles je me suis construit.

Que signifie, pour un écrivain, travailler avec une historienne ?

C'est à la fois pratique et embarrassant. Pratique parce qu'il n'y a plus de question sans réponse. Il n'y a pas eu de problème sur un point quelconque que Camille Cléret ne soit parvenue à élucider. Embarrassant parce que je ne peux pas toujours m'affranchir de son avis, surtout s'il concerne un point d'histoire qui met en difficulté la solidité du projet romanesque... Pour être franc, ce que j'aime dans cette collaboration c'est le fait que le roman, même pour elle, est l'objectif principal et que le poids de l'histoire ne doit pas risquer de faire vriller le projet narratif.

Après la trilogie « Les Enfants du désastre », Le Silence et la colère est le deuxième volume de votre tétralogie dédiée aux Trente Glorieuses. Vous continuez à y « feuilleter » le siècle, selon votre formule. Comment construisez-vous ce puzzle infiniment riche de portraits, de détails, d’humour aussi, qui brosse finalement le portrait d’une époque ?

L'ossature du projet est arrêtée depuis 2014 (presque dix ans...) et comme tout projet vivant, il ne cesse d'être remanié mais n'a jamais été repensé. Je reste fidèle à mon intention initiale. C'est une grosse machine romanesque (dix volumes couvrant 70 ans d'histoire à travers trois générations de personnages) qui suppose d'anticiper beaucoup, de réviser en permanence, de maintenir une attention permanente à la fois à l'évolution des personnages et au contexte dans lequel ils évoluent. Sans un tempérament solidement obsessionnel, il serait difficile d'aller au bout mais sur ce plan, je suis très bien équipé.

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