Guillaume Calafat, "Pour une histoire des mondes liquides"
Membre du Conseil scientifiques des Rendez-vous de l'histoire et maître de conférences à l'université Paris 1 Panthéon-Sorbonne (IHMC), Guillaume Calafat présente le thème des 25èmes Rendez-vous de l'histoire : "La Mer".
Pour une histoire des mondes liquides
Depuis désormais une vingtaine d’années, un vent de renouveau souffle sur l’étude historique des mers et des océans. « Histoire maritime », « histoire pélagique », « sea » ou « oceanic studies », « nouvelle thalassologie », « thalassographie », les étiquettes ne manquent pas pour tenter de rendre compte du nuancier de recherches qui prennent la mer et, plus largement, les environnements liquides (des estuaires aux océans, des fonds marins aux îles ou aux lagunes) comme cadres pertinents de leurs enquêtes. Cet engouement, parfois rendu par la métaphore de la vague, puise non seulement à la grande variété des sujets possibles liés aux espaces marins, mais aussi aux réflexions qui les sous-tendent à propos des échelles, des temps et des formes de l’interdisciplinarité en histoire.
À l’instar de la Méditerranée, objet du maître-livre de Fernand Braudel, les mers ou les océans du globe sont devenus des champs d’études à part entière, avec leurs revues, leurs collections, leurs spécialistes : les océans Indien, Atlantique, Arctique, ou Pacifique, la mer de Chine méridionale, les mers Baltique, Noire, Rouge, ou les Caraïbes, sont ainsi abordés depuis leurs géomorphologies particulières, jusqu’aux mouvements des biens et des populations qui tissent leurs différentes rives. Ces histoires régionales ou macro-régionales interrogent, à la faveur du « tournant global » emprunté par l’historiographie, les connexions entre les différentes régions du monde, les modalités de leur intégration, de leur séparation ou de leur fragmentation, par-delà les frontières politiques des États-nations ou les carcans des récits eurocentrés. Déjouer ces pièges passe assurément par l’écriture d’une histoire polyphonique et polyglotte, susceptible de rendre compte de l’épaisseur du temps et de l’hétérogénéité des espaces maritimes.
Là encore, l’emboîtement des échelles se révèle décisif pour scruter la nature des mobilités, l’institution et le franchissement des frontières, tout comme les usages sociaux de la mer. Pour cela, historiennes et historiens privilégient aujourd’hui volontiers les échelles méso, voire micro, qui permettent ainsi d’étudier, au plus près de documentations hétéroclites, la forme des interdépendances à différents rayons, comme l’interaction entre activités humaines et environnements marins. Ces histoires situées, « micro-régionales » en quelque sorte, sont aujourd’hui particulièrement prisées, tant elles permettent de sonder la fragmentation comme l’intégration des espaces maritimes pensés comme autant de « micro-mers », elles-mêmes objets de luttes et de rivalités économiques et impériales, d’écologies spécifiques et d’écosystèmes fragiles et changeants. Histoire globale, histoire impériale, histoire environnementale, histoire sociale, histoire culturelle, les affluents de l’histoire et de l’historiographie des mers sont nombreux. Ils prennent leurs sources à la géologie, à l’archéologie, aux textes, aux artefacts, aux représentations et aux documents archivés.
Ces différents courants, que les Rendez-Vous de l’Histoire mettent cette année à l’honneur, témoignent de la grande variété des objets, des questions et des récits qui émergent de l’histoire des mondes liquides. Alors, n’hésitez pas à vous embarquer pour Blois : on y verra la mer cette année !