Michel Pastoureau
© Bénédicte Roscot
Publié le 25/09/2023

3 questions à Michel Pastoureau

Peut-on faire l'histoire de la mort ?

Oui, c’est même un thème vedette de l’historiographie européenne depuis les années 1970. Il faut dire que sur un tel sujet, quelle que soit l’époque concernée, les documents abondent, du moins en Europe depuis l’Antiquité grecque : restes osseux, sépultures et monuments funéraires, textes et images de toutes sortes, faits de langue et de lexique, traditions orales, pratiques religieuses, croyances et superstitions. La mort d’un individu est bien mieux documentée que sa naissance, parfois que sa vie elle-même. Combien de personnages de l’Antiquité, du Moyen Age et de l’époque moderne ne nous sont connus que par leur nom et leur date de décès ! Combien de récits de funérailles occupent dans une chronique médiévale ou dans un roman moderne des pages et des pages alors que la venue au monde d’un enfant tient en quelques lignes, parfois quelques mots.

 

La frontière entre morts et vivants a-t-elle toujours été définie de manière identique au cours du temps ?

Non, assurément, il s’agit tantôt d’une frontière étanche, brutale, irréversible, tantôt au contraire d’une frontière souple, perméable, sans cesse traversée dans un sens et dans l'autre. Dans certaines sociétés, un mort n’est vraiment mort que lorsqu’il a été enseveli ou incinéré selon le rituel qui convient. Tant que ce rituel n’est pas accompli, il n’est pas considéré comme mort, même si le souffle vital s’est retiré de son corps. Dans d’autres sociétés, y compris parmi les plus récentes, il n’est pas rare que des morts reviennent parmi les vivants pour les visiter, les aider, les conseiller, les tourmenter ou leur demander des comptes. Dans d’autres enfin, très nombreuses, il y a une vie après la mort, et les défunts qui sont entrés dans cette nouvelle vie sont considérés comme bien vivants. L’idée matérialiste et positiviste d’une mort définitive est une idée moderne. Elle est inconnue des sociétés anciennes et peut-être fera-t-elle sourire ou scandalisera-t-elle nos successeurs dans quelques siècles.

 

La notion de « belle mort » a-t-elle changé au cours des siècles ? Comment et pourquoi ?

Cette notion, qui n’a rien d’univoque, a évidemment beaucoup changé au cours de l’histoire, y compris dans les générations récentes. En Europe, pour nos arrière-grands-parents, mourir au combat, sur un champ de bataille, en défendant sa patrie était vu comme une « belle mort ». Aujourd’hui, cela ne suscite plus guère d’admiration et est même considéré par certains comme parfaitement vain, voire absurde. En revanche, mourir dans son lit, en dormant, sans souffrir, après une vie paisible et égoïste peut être tenu pour une belle mort. Rien de tel dans la littérature ancienne pour qui une belle mort ne peut être que glorieuse et exemplaire, à l’image des héros des mythes ou des épopées. Rien de tel non plus sur le plan biologique ou anatomique : une belle mort est une mort naturelle, sans souffrance, à un âge avancé, le corps intact et n’ayant subi aucun outrage. Plus banalement, de nos jours, connaître une belle mort c’est mourir en paix avec soi-même et avec les autres. Comme souvent en histoire, tout ici est culturel. Même en se limitant à l’Occident, nos conceptions actuelles de la mort n’étaient pas celles de nos ancêtres et ne seront pas non plus celles de nos successeurs.

Michel Pastoureau
© Bénédicte Roscot