L'Envers d'une histoire de Mila TURAJLIC - Grand Prix

Serbie / France / Qatar, 2017, 104 min, couleur, Survivance, Dribbling Pictures, HBO Europe

Le film de Mila Turajlić s’ouvre sur le mystère de deux portes, dont la mère belgradoise astique les poignées en cuivre avec application. Condamnées depuis la nationalisation de l’appartement en 1949, c’est sur elles que reposent les deux trames du récit, qui s’attache à déconstruire près de 70 ans d’histoire yougoslave et postyougoslave, et interroge, avec finesse, la complexité d’un héritage à la fois militant et bourgeois. Ainsi l’ancienne professeure en ingénierie électrique exhume-t-elle les archives ou autres résidus de ses années d’engagement révolutionnaire, au terme duquel elle est devenue secrétaire d’État du gouvernement de transition démocratique, en même temps que les attributs bourgeois qu’elle a précieusement conservés. Par le truchement du dialogue qu’elle engage avec sa mère et un habile jeu de regards entre intérieur et extérieur, Mila Turajlić parvient à entremêler histoire familiale et grande histoire, portant un regard rare et précieux sur l’éclatement de la Yougoslavie et sur la somme de désillusions qu’il a apportées. Le film, maintenant un certain suspense autour de ces portes fermées et de ce qu’elles dissimulent non pas tellement au regard mais à la pensée, nous interroge autant sur ce qui forge une identité – nationale, « ethnique » ou de classe – que sur la nature du legs post-conflit.

— Violaine BARADUC