Quand la religion crée la « race »

Table ronde, Carte blanche à l’ANR RelRace (Religions, lignages et « race ») de l’Université du Mans

Non seulement les religions peuvent parfaitement s’accommoder de la « race », en particulier lors de l’acmé de la raciologie dite scientifique au XIXe siècle, mais elles sont capables également d’en produire dans la longue durée, bien avant l’émergence de la notion de « race » issue de l’histoire naturelle. Dans ce schéma, le rôle de la notion de lignage est déterminant et les textes sacrés permettent de construire et d’essentialiser des différences. Le déterminisme racial repose alors sur le récit soit d’une malédiction – aboutissant à la création d’un lignage stigmatisé – soit d’une bénédiction ou d’un rattachement à un noble lignage. - Dans le premier cas, l’exemple le plus connu, est celui de la malédiction de Ham/Cham (Gn. 9) qui permit – entre autres choses – de justifier l’esclavage des populations noires [Braude, 2002 ; Haynes, 2002 ; Goldenberg, 2003 ; Whitford, 2009] y compris dans l’islam bien que ce récit ne figurât pas dans le Coran. Dans le second cas, le meilleur exemple réside dans les théories du British Israelism [Barkun, 1997] défendues par Wilson puis Hines au XIXe siècle et restées très populaires dans le monde anglo-saxon jusqu’au milieu du XXe s. Ces conceptions s’accompagnent souvent d’une racialisation de la notion d’élection et de peuple élu qui, alors, loin d’être conçue comme métaphorique ou ressortant d’une mission particulière au sein de l’humanité, apparaît à ses défenseurs comme l’expression d’une supériorité raciale. Or, cette prétention à l’élection tend à se renforcer à partir du XVIIe siècle au sein de la galaxie protestante aussi bien en Afrique du sud qu’en Amérique. - Parmi ces constructions, certaines sont bien moins étudiées. Il s’agit en particulier de celles produites par les populations africaines-américaines au XIXe siècle qui inversent les stigmates et donnent à la « race » blanche une origine indigne, aussi bien dans le christianisme africain-américain [Livingstone, 2011 ; Harvey, 2007] que dans le Black Judaism ou encore que dans la Nation of Islam. Elles produisent également des contre-discours de l’élection particulièrement manifestes dans le rastafarisme et constituent un outil encore opérant aujourd’hui même s’il reste difficile d’en mesurer l’imprégnation. Dans tous les cas, les questions autour de la circulation et de l’hybridation de ces généalogies racialo-religieuses ont été peu travaillées et méritent qu’on s’y attache dans ce Panel proposé aux 23èmes Rendez-vous de l’histoire.

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