Gouverner durant les « Dix décisives » (1869-1879)
Table ronde Carte blanche à l’Université d’Orléans
Il y a un demi-siècle, Jean-Pierre Azéma et Michel Winock s'étaient interrogés à la faveur du centenaire de la débâcle de 1870 sur les ressorts de l'établissement et de la chute de « la plus longue des Républiques ». Et déjà ils analysaient la naissance retardée, la très longue gestation du régime républicain, entre le 4 septembre 1870 et la conquête de tous les pouvoirs par la majorité républicaine en janvier 1879. Depuis les ouvrages de Charles Seignobos et de Daniel Halévy, les étapes de l’installation de la Troisième République semblent établies et Jean-Marie Mayeur observait que « ce que l’on sait le mieux, c’est le commencement, et le récit des luttes qui menèrent de la “République des ducs” à la “République des républicains” ». - Ce récit traditionnel, parfois héroïsé, de la lente et chaotique conquête du pouvoir par les républicains a profondément été renouvelé depuis les années 1980. Le colloque « La France des années 1870. Naissance de la IIIe République », organisé en 2000, en constitue un jalon important. Parmi les avancées historiographiques, les travaux sur le libéralisme ont permis de réintégrer cette famille politique « dans la trame historique de la fondation républicaine », en considérant l’établissement de la République comme le fruit d’une alliance entre les républicains modérés et les libéraux. - Plus globalement, en rupture avec l’illusion téléologique d’une installation inévitable de la démocratie libérale en France sous la forme républicaine, de nombreuses études ont contribué à revisiter cette période de la « République sans les républicains ». Notre connaissance des débuts incertains de la Troisième République bénéficie de nouveaux éclairages sur les consultations électorales, la vie parlementaire, les réseaux, les grandes figures politiques et les événements majeurs de la période, comme la guerre franco-prussienne, la Commune de Paris ou encore la crise du 16 mai 1877. Ces apports précieux méritent aujourd’hui d’être liés en gerbe pour renouveler le regard sur cette décennie qualifiée de « décisive » par René Rémond. - Si la décennie 1870 a été envisagée par l’historiographie comme déterminante, cela a été dans le cadre des ruptures institutionnelles. Remonter au Second Empire, notamment à sa phase évolutive vers une monarchie parlementaire et libérale, et au vivier de ses acteurs « libéraux » s’est ici imposé. Les recherches les plus récentes sur l’Empire libéral ont réévalué son héritage en termes de pratiques politiques et d’usages institutionnels. Elles établissent des continuités entre le Second Empire et la République naissante, nuancent l’ampleur des ruptures et remettent en cause la vision classique de l’historiographie présentant la Troisième République comme prenant systématiquement le contrepied du « césarisme », « dans une altérité radicale avec les expériences antérieures ».